Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Et à quel propos me cherchez-vous cette querelle ?

— Mais parce que vous abusez de votre force envers ce jeune homme, et que tout abus d’une force quelconque me semble odieux.

— Savez-vous qui je suis, monsieur ? dit le baron de B*** en s’avançant d’un air menaçant vers Morrisel.

— Oui, monsieur, répondit celui-ci en relevant tranquillement ses lunettes ; vous êtes M. le baron de B*** ; vous avez tué M. un tel en duel, et blessé M. un tel ; je sais cela.

— Et vous vous opposez toujours à ce que l’on me cède le billard ?

— Je m’y oppose plus que jamais !

— Soit, monsieur ; mais vous comprenez que je me regarde comme insulté par vous ?

— Je ne m’y oppose pas, monsieur.

— En conséquence, demain, à six heures du matin, nous nous retrouverons, s’il vous plaît, au bois de Vincennes ou au bois de Boulogne.

— Monsieur, j’ai vingt-cinq ans de plus que vous, ce qui fait que j’aime à dormir ; d’ailleurs, je suis joueur : en général, je joue toutes les nuits, ce qui fait que je ne me couche pas avant cinq heures, et ne me lève guère avant midi. Puis, après m’être levé, je fais ma toilette ; c’est une habitude prise depuis trop longtemps pour que j’y renonce. Ma toilette faite, mon domestique me sert à déjeuner. Après mon déjeuner, je viens ici prendre mon café, comme vous voyez ; je suis très-méthodique. Tout cela me conduit à deux heures. Donc, demain, si cela vous convient, à deux heures et demie, mais à deux heures et demie seulement, je serai à votre disposition.

— À deux heures et demie, soit, monsieur ; voici ma carte.

Morrisel l’examine avec attention, fait un salut approbatif, la met dans sa poche, tire deux cartes à son adresse, en présente une à M. le baron de B***, et enveloppe l’autre dans un billet de cinq cents francs.

Puis, appelant, tandis que le baron de B*** le regarde faire :

— Changeur, dit-il, voici un billet de cinq cents francs.