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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous échangeâmes nos compliments, et, comme je tenais ma main dans ma poche, on ne s’aperçut de rien.

Chacun arriva, et l’on partit sans que l’ara, enseveli sous son canapé, eût donné, par un cri ou par un mouvement, signe d’existence.

En arrivant à Enghien, un de nos chasseurs m’apparut la main emmaillotée comme la mienne ; cette parité de malheur ouvrit entre nous un courant sympathique. Je lui demandai la cause de son accident. Une porte poussée par le vent s’était violemment refermée, il avait eu la main prise entre le chambranle et la porte, et les doigts entaillés.

Quant à moi, je me contentai de lui dire que je m’étais coupé avec la pierre de mon fusil ; — à cette époque, je chassais encore avec un fusil à pierre.

Le chasseur estropié de la même main que moi, c’était le célèbre docteur Ferrus. Lorsqu’il entendit prononcer mon nom, il me demanda si j’étais le fils du général Alexandre Dumas, et, sur ma réponse affirmative, il me raconta cette histoire des quatre fusils de munition enlevés avec les quatre doigts, que j’ai racontée d’après lui, et qu’on a lue au commencement de ces mémoires.

Nous avions avec nous encore, et au nombre de nos chasseurs, un ami de Telleville Arnault, un homme qui était bien certainement une des créatures les plus braves, les plus spirituelles et les plus originales qui eussent jamais existé.

On l’appelait le colonel Morrisel ; il portait des lunettes, et ne ressemblait à rien moins qu’un colonel.

Il venait, juste à l’époque où nous sommes arrivés, d’avoir un duel manqué qui avait fait plus de bruit qu’un duel réussi.

Dans ce temps-là, il existait, rue Laffitte, un café où se réunissaient les jeunes gens à la mode.

Il avait nom le café Français.

Le principal garçon, fort joueur de billard, nommé Changeur, faisait, un soir, la partie avec un tout petit jeune homme qui trouvait commode de prendre leçon à trois francs la partie liée, lorsque M. le baron de B***, accompagné de