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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

m’asseoir, comme je l’ai dit, sur le canapé en face de son perchoir.

Le perroquet me regarda un instant avec cet air mélancolique particulier aux perroquets ; puis, avec cette précaution qui ne les abandonne jamais, s’aidant du bec et des pattes, il descendit lentement et un à un les bâtons de son perchoir ; puis, enfin, le tronc du perchoir lui-même, jusqu’à ce qu’il eût mis patte à terre.

Alors, il s’approcha de moi en se dandinant, s’arrêtant, regardant de côté, et jetant un cri à chaque pas qu’il faisait ; puis, arrivé à la pointe de mon soulier, il se mit en devoir d’escalader ma jambe.

Touché de cette marque de confiance de sa part, je lui tendis la main pour lui épargner la peine de l’ascension ; mais, soit qu’il se trompât sur mes intentions tout amicales, soit qu’il cachât une agression préméditée sous ses dehors bienveillants, à peine vit-il ma main à sa portée, qu’il me saisit l’index, et me fit, au-dessus de la première phalange, une double blessure qui ne s’arrêta qu’à l’os.

La douleur fut d’autant plus violente qu’elle était inattendue. Je jetai un cri, et, par un mouvement convulsif, ma jambe se roidissant avec l’élasticité d’un ressort d’acier, j’atteignis du bout de mon soulier de chasse le perroquet au milieu de la poitrine, et l’envoyai s’aplatir contre la muraille. Il retomba à terre, et resta sans mouvement.

Cet évanouissement était-il causé par le coup de pied ou par le contre-coup ? venait-il de l’impulsion de mon soulier ou de la répulsion de la muraille ? Voilà ce que je ne sus jamais, et ce que je ne me donnai pas la peine de vérifier, entendant des pas dans la chambre voisine.

Je sautai sur l’ara, toujours sans mouvement, je levai la housse du canapé, je le poussai du pied dans la profondeur ténébreuse du meuble, je laissai retomber la housse, et je m’assis, comme si rien d’extraordinaire ne venait de se passer.

Puis je bandai mon index avec mon mouchoir.

Le colonel Bro entra.