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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pas, sur ses bords, un jardin public plein de roses, de dahlias et de jasmins ; il n’avait pas, sur toute sa circonférence, des châteaux gothiques, des villas italiennes et des châlets suisses, il n’avait pas, enfin, sur sa surface, des centaines de cygnes venant demander l’aumône d’un échaudé aux voyageurs qui, dans des bateaux à trois francs cinquante centimes l’heure, sillonnent maintenant la surface de son eau, filtrée comme l’eau d’un bassin, polie comme la glace d’un miroir.

Non, le lac d’Enghien était, à cette époque, un lac tout simplement, un vrai lac, un peu boueux pour un lac, pas assez pour un étang. Il était couvert de joncs, de nymphéas, au milieu desquels jouaient les plongeons, caquetaient les poules d’eau, et barbotaient les canards sauvages, le tout, en suffisante quantité pour donner récréation à une vingtaine de chasseurs.

Le colonel Bro avait donc résolu une chasse, et, à la requête d’Adolphe et à la mienne, il avait fixé le jour de cette chasse à un dimanche, afin que, libres de notre bureau, Adolphe et moi pussions y assister.

Le rendez-vous était, à sept heures, chez le colonel Bro. On partait de la rue des Martyrs dans trois voitures ; à neuf heures, on était à Enghien. Un déjeuner, digne d’un thane saxon, y attendait les convives. À dix heures, on se mettait en chasse ; à cinq heures, on retrouvait la table servie, et, à onze heures du soir, chacun était rentré chez soi.

Toujours prêt avant les autres, quand il s’agissait de chasse, j’étais chez le colonel Bro à six heures et demie du matin.

On m’introduisit dans un petit boudoir, où je me trouvai en tête-à-tête avec un énorme ara bleu et rouge.

L’ara était sur son bâton ; je m’assis sur un canapé.

J’ai toujours eu le plus grand respect pour les hommes à grand nez et les animaux à gros bec ; non pas que je trouve cela joli, mais parce que je crois que la nature a ses raisons quand elle produit une monstruosité.

À ce titre, l’ara du colonel Bro avait droit à toutes mes civilités.

Je lui adressai donc quelques mots de politesse, et j’allai