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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Triste mais éloquent spectacle pour le peuple, que celui de tous ces enfants nés avec des couronnes sur la tête ou sous la main, et qui se cramponnent en pleurant aux chambranles des portes, lorsque le vent des révolutions les arrache, les uns après les autres, de cette hôtellerie royale qu’on appelle le palais des Tuileries !

Peu à peu, j’avais fait connaissance avec tous les hommes d’opposition qui reprenaient, en sapant la monarchie au commencement du xixe siècle, l’œuvre incomplète de la fin du xviiie.

J’avais connu Carrel chez M. de Leuven, où il venait souvent, travaillant au Courrier, dont M. de Leuven était un des principaux rédacteurs.

J’avais vu Manuel, Benjamin Constant et Béranger chez le colonel Bro ; mais Béranger fut le seul des trois avec lequel j’eus le temps de me lier intimement et qui eut le temps de me juger : les deux autres devaient mourir, l’un avant que je fusse connu, l’autre quand je l’étais à peine.

Bro m’aimait beaucoup. — J’ai déjà raconté comment, grâce à lui, j’avais vu Géricault à son lit de mort. — Il avait un fils, charmant enfant alors, qu’on appelait Olivier, et qui est devenu un des plus braves officiers de notre armée nouvelle, comme son père avait été un des plus braves officiers de notre grande armée.

C’est à lui que le général Lamoricière a si miraculeusement sauvé la vie, quand le yatagan d’un Bédouin était déjà levé sur sa gorge.

Je ne l’ai pas revu depuis 1829, et je vais raconter une histoire qui lui rappellera un souvenir d’enfance, partout où il sera.

Le colonel Bro nous procurait, à Adolphe et à moi, tous les plaisirs qu’il était en son pouvoir de nous procurer ; et, entre autres, celui de la chasse.

À cette époque, il possédait, je ne sais à quel titre, le lac d’Enghien.

Le lac d’Enghien n’était pas, en 1827 et 1828, un joli petit lac peigné, frisé, rasé ; comme il l’est aujourd’hui ; il n’avait