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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

M. le duc de Bordeaux avait répondu oui

« Votre oui, monseigneur, avait alors continué le premier président, va être consigné dans nos registres, et vous l’y trouverez à votre majorité. »

Hélas ! tous ces conseils devaient être perdus. Le vieillard à cheveux blancs qui avait tout vu dans le passé, n’avait rien vu dans l’avenir. Quand Dieu envoie ces sortes d’illuminations, c’est aux poëètes. C’était un poëte, celui qui vous disait, monseigneur :

Salut, petit cousin germain !
D’un lieu d’exil, j’ose t’écrire.
La fortune te tend la main ;
Ta naissance la fait sourire.
Mon premier jour aussi fut beau,
Point de Français qui n’en convienne :
Les rois m’adoraient au berceau…
Et, cependant, je suis à Vienne !

C’était un poëte, celui qui vous disait :

Ô rois, veillez, veillez ! tâchez d’avoir régné.
Ne nous reprenez pas ce qu’on avait gagné ;
Ne faites point, des coups d’une bride rebelle,
Cabrer la liberté, qui vous porte avec elle ;
Soyez de votre temps, écoutez ce qu’on dit,
Et tâchez d’être grands, car le peuple grandit !
Écoutez, écoutez ! à l’horizon immense,
Ce bruit qui parfois tombe et soudain recommence,
Ce murmure confus, ce sourd frémissement
Qui roule et qui s’accroît de moment en moment !
C’est le peuple qui vient ! c’est la haute marée
Qui monte, incessamment par son astre attirée !
Chaque siècle, à son tour, qu’il soit d’or ou de fer,
Dévoré comme un cap sur qui monte la mer,
Avec ses lois, ses mœurs, les monuments qu’il fonde.
Vains obstacles qui font à peine écumer l’onde,
Avec tout ce qu’on vit et qu’on ne verra plus,
Disparaît sous ce flot qui n’a pas de reflux !