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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Toutes les espérances du pays semblaient se concentrer sur « l’enfant du miracle, » comme on appelait le duc de Bordeaux, et, le 1er janvier, M. de Barbé-Marbois, premier président de la cour des comptes, lui adressait ce charmant petit discours, tout en harmonie avec l’âge et l’intelligence du jeune prince :

« Monseigneur, vous recevez aujourd’hui les présents d’usage : le nôtre sera une petite histoire.

» Un jour, le prince dont vous portez le nom, jeune alors comme vous, revint, après une absence, à la cour de Navarre. Il était encore à cheval, lorsqu’il se vit entouré des enfants du pays, et, joyeux de le revoir, ils répétaient tous : Caye nostre Henry ! ce qui voulait dire : « Voilà notre Henri ! » comme si le jeune prince leur eût appartenu. La reine Jeanne, sa mère, — une excellente princesse, — qui avait tout vu et tout entendu d’un balcon du palais, bien contente de la réception qu’on faisait au jeune prince, lui dit : 

» — Ces enfants-là, mon fils, viennent de te donner une leçon, et c’est la plus douce que tu puisses jamais recevoir : en t’appelant nostre Henry, ils t’ont appris que les princes appartiennent à la patrie autant au moins qu’à leur propre famille.

» Le prince se souvint de la leçon. C’est pour cela que, depuis plus de deux siècles, les Français continuent à l’appeler « notre Henri. » et l’appelleront toujours ainsi. »

M. le duc de Bordeaux-, après avoir écouté attentivement, avait répondu :

— Je ne l’oublierai pas.

Déjà, l’année précédente, il lui avait été dit :

« Et vous, monseigneur, vous qui êtes encore si jeune, et sur la tête duquel repose le bonheur futur de la France, souvenez-vous toujours que ce beau royaume demande aussi un bon roi, un roi qui aime la vérité, qui veuille qu’on la lui dise ; un roi qui n’aime pas la flatterie, et qui éloigne de sa personne les hommes qui trompent. Vous souviendrez-vous, monseigneur, que ces conseils vous ont été donnés par un vieillard qui avait la tête couverte de cheveux blancs ? »