— Ce qui ne t’empêche pas de faire ton drame, bien entendu, si tu y tiens toujours.
— Sur le même sujet que toi ?
— Il y a deux théâtres à Paris : il y a dix manières d’envisager un sujet.
— Mais lequel de nous deux lira au Théâtre-Français ?
— Celui qui aura le plus tôt fini.
— Cela ne te contrariera point ?
— Que diable veux-tu que cela me fasse ?
— Tu n’es pas aimable, ce soir.
— C’est que je ne suis pas content.
— Qu’as tu ?
— J’ai que, si j’avais vu les acteurs anglais avant de faire ma Juliette, je l’aurais faite autrement, ou je ne l’aurais pas faite du tout.
— Veux-tu m’en croire ?
— En quoi ?
— Un vrai conseil d’ami… Laisse là ta Juliette, comme j’ai laissé mon Fiesque, et rêve à autre chose.
— Bah ! puisque c’est fait !
Je vis que c’était une chose arrêtée dans l’esprit de Soulié, et je n’insistai point davantage.
Puis, comme je n’étais pas assez riche pour acheter la Biographie universelle, je demandai à Soulié la permission de copier les deux articles ; ce qu’il m’accorda.
Il était évident que ma concurrence ne lui inspirait pas un grand effroi.
À minuit, nous nous séparâmes ; je m’en allai suivant le boulevard, et rêvant déjà à ma future Christine.
La nuit était obscure, le temps pluvieux, le boulevard à peu près désert.
En arrivant à la porte Saint-Denis, au moment où j’allais quitter le boulevard pour rentrer dans la rue, j’entendis des cris à trente pas en avant de moi ; puis, au milieu de l’obscurité, j’aperçus comme un groupe se mouvant violemment sur le boulevard.
Je courus vers l’endroit d’où partaient ces cris.