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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le drame populaire avait son Talma ; la tragédie du boulevard avait sa mademoiselle Mars.

Tout le monde connaît Trente Ans ; tout le monde l’a vu jouer par les deux artistes que nous venons de nommer. Mais tout le monde ne l’a pas vu jouer au milieu de cette fièvre des premières représentations qui brûlait tout le monde, acteurs et spectateurs.

Les artistes anglais trouvèrent donc le public parisien tout chaud d’émotion, et demandant à grands cris, pour faire suite aux émotions passées, des émotions nouvelles.

Il y a, dans la société, de ces moments-là ; tout y est tranquille, hors les imaginations. Les corps ne courent aucun danger, les esprits veulent des périls imaginaires ; il faut que la pitié humaine se prenne à quelque chose. Douze ans de calme faisaient que chacun demandait des émotions ; dix ans de sourires faisaient que chacun appelait les larmes.

Avec notre esprit inquiet et aventureux, il faut toujours que nous mettions le drame quelque part, ou au théâtre ou dans la société.

En 1827, il était tout entier au théâtre.

Les Anglais donnèrent leur première représentation le 7 septembre. Abbott ouvrit la séance par un petit discours français assez nettement prononcé, et l’on joua les Rivaux, du pauvre Sheridan, qu’on venait d’enterrer avec tant de difficultés, et un Caprice de la Fortune, d’Allingham.

La troupe comique s’était fait les honneurs de la première soirée ; et, quoique l’onu eût remarqué un comique nommé Liston, et une amoureuse nommée miss Smithson, on avait compris que ce n’était point là ce que nous apportait, en réalité, de l’autre côté du détroit, cette troupe tant attendue.

J’avais résolu de suivre les représentations anglaises avec une certaine assiduité, et, comme Porcher était rentré, ou à peu près, dans les avances qu’il m’avait faites, j’avais été lui redemander deux cents francs, dont cent cinquante étaient entrés dans notre ménage, et dont cinquante avaient été destinés à m’initier aux beautés pratiques du drame anglais,

Je savais déjà, à cette époque, Shakspeare à peu près par