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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mademoiselle Georges avait donné, avec le plus grand succès, une représentation de Sémiramis.

La recette s’était élevée à huit cents livres sterling (vingt mille francs).

Quelques jours après, toujours avec le même succès, elle avait joué Mérope.

Ce double triomphe avait donné au directeur de l’Odéon l’idée de traiter avec une troupe anglaise.

On annonçait ces représentations pour les premiers jours de septembre, et elles étaient attendues avec impatience.

En effet, du mépris complet de la littérature anglaise, on était passé à une admiration enthousiaste. M. Guizot, qui ne savait pas un mot d’anglais, à cette époque, — et qui l’a trop bien su depuis ! — avait retraduit Shakspeare à l’aidé de Letourneur. Walter Scott, Cooper et Byron étaient dans toutes les mains. M. Lemercier avait fait une tragédie avec le Richard III ; M. Liadière en avait fait une autre avec la Jane Shore. On avait joué le Château de Kenilworth à la Porte-Saint-Martin ; Louis XI à Péronne au Théâtre-Français ; Macbeth à l’Opéra. On parlait de la Juliette de Frédéric Soulié, de l’Othello d’Alfred de Vigny. Décidément, le vent soufflait de l’ouest et annonçait la révolution littéraire.

Ce n’était pas tout : on venait de jouer à la Porte-Saint-Martin une œuvre dont le dénoûment, emprunté au Vingt-Quatre Février, de Werner, avait fait révolution et par sa coupe et par son exécution.

Nous voulons parler de Trente Ans, ou la Vie d’un Joueur de MM. Victor Ducange et Goubaux.

Outre l’importance dramatique de l’ouvrage, deux éminents artistes venaient de se révéler :

Frédérick et madame Dorval.

Chose rare ! tous deux s’étaient tenus à une hauteur égale, l’un avait été digne de l’autre.

C’était donc là ce méchant tragédien qui jouait, trois ans auparavant, un frère Macchabée au théâtre de l’Odéon !

C’était donc là cette petite fille oubliée qui jouait ce mauvais rôle de Malvina dans le Vampire !