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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Aussi, lorsque Charles X, pauvre monarque aveugle et sourd, croyant que l’enthousiasme produit par son avènement au trône durait toujours, indiqua pour le 29 avril une revue de la garde nationale au Champ de Mars, à son grand étonnement, entendit-il se mêler à ces cris de « Vive le roi ! » avec lesquels on grise les souverains à les faire chanceler sur leur trône, entendit-il se mêler, perçants et acharnés, les cris de : « À bas les ministres ! — À bas les jésuites ! » Ces cris s’élevaient particulièrement des rangs des deuxième, troisième, cinquième, septième et huitième légions, c’est-à-dire des rangs de l’aristocratie financière et de la petite bourgeoisie.

Étourdi de cet accueil, Charles X s’arrêta un instant ; puis, poussant son cheval jusque sur le front de la légion qui faisait entendre les cris les plus acharnés :

— Messieurs, dit-il, je suis venu ici pour recevoir des hommages et non des leçons.

Hélas ! les rois de 1827, comme ceux de 1848, auraient cependant bien dû savoir que ce sont les hommages qui aveuglent et les leçons qui éclairent.

Le lendemain, à six heures du matin, tous les postes de la garde nationale étaient relevés par la troupe de ligne, et, à sept heures, paraissait dans le Moniteur, à la place de l’article qui devait rendre compte de la revue, l’ordonnance du licenciement.

Dès ce moment, il y eut rupture entre la branche aînée et la bourgeoisie.

Celle-là, d’ailleurs, avait son roi élu d’avance dans les desseins de Dieu, roi qui devait régner sur elle et passer avec elle.

À partir de cette heure, les yeux un peu clairvoyants purent voir, s’approchant peu à peu, le nuage qui portait dans ses flancs la tempête de 1830.