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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le conduire chez Thibaut, dont il m’avait plus d’une fois entendu vanter la science médicale.

Je m’empressai de lui rendre ce service. Je le conduisis chez Thihaut, que je priai de l’examiner avec attention.

Thibaut le fit déshabiller jusqu’à la ceinture, percuta sa poitrine, écouta la respiration à l’oreille nue, puis, avec le stéthoscope ; et, après dix minutes d’examen, tout en lui disant tout haut, à lui, que c’était une affection de poitrine grave, mais cependant sans danger, il me dit tout bas à moi :

— C’est un garçon perdu.

On n’a pas idée de l’impression douloureuse que me fit cette déclaration, si nettement articulée. Félix n’avait jamais été d’une grande amabilité pour moi ; son caractère, un peu jaloux, m’avait plutôt éloigné que rapproché des plaisirs que, grâce à la position de son père, il pouvait me procurer, et surtout du plaisir de la chasse, le premier de tous pour moi. Mais il n’en était pas moins une des tendres amitiés de ma jeunesse, et, si cette prédiction se réalisait, c’était là première feuille que la mort arrachait au rameau d’or de mes souvenirs d’enfance.

je ne me souciais pas d’annoncer cette triste nouvelle à M. Deviolaine. J’allai trouver Oudard et lui racontai ce qui venait de se passer. Oudard n’en voulait rien croire, tant Félix avait paru, jusque-là, peu disposé à mourir d’une phthisie pulmonaire ; mais j’envoyai chercher Thibaut lui-même, et Thibaut lui réitéra la prédiction qu’il m’avait faite.

Sans dire toute la vérité à M. Deviolaine, Oudard lui fit entendre que Félix avait besoin de grands soins, et, comme Félix ne voulait pas d’autre médecin que Thibaut, il fut convenu que celui-ci le visiterait tous les jours.

Ce fut à cette époque surtout que je fis cette étude presque spéciale de la phthisie pulmonaire que j’ai développée dans mon roman d’Amaury.

J’ai déjà dit ailleurs comment, au moment où la prédiction de Thibaut allait se réaliser, quand tout espoir était déjà perdu, — même au cœur de sa mère, ce dernier sanctuaire de l’espérance, — Félix Deviolaine fut miraculeusement sauvé par un