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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

geste de la main, et qu’il commandait d’une voix à la fois douce et ferme, affectueuse et puissante.

Il venait d’achever son imitation du Roméo et Juliette de Shakspeare. Il y avait, dans cette œuvre, quelques beaux vers chaudement forgés, quelques grandes idées vigoureusement tordues ; mais, en somme, c’était une œuvre médiocre.

Il l’avait commencée deux ans trop tôt, et n’avait rien osé de neuf, à une époque où le neuf était une des conditions du succès.

J’avais dit franchement à Soulié que je venais pour faire un drame avec lui ; mais, comme ni l’un ni l’autre de nous, sans doute, ne se sentait assez fort pour aborder une création, nous résolûmes de prendre un sujet dans Walter Scott.

Walter Scott était à la mode ; on venait de jouer avec grand succès un Château de Kenilworth, à la Porte-Saint-Martin, et on allait jouer un Quentin Durward, au Théâtre-Français.

Le rôle de Louis XI avait été fait pour Talma, et Talma comptait le jouer après Tibère.

Quel pas eût fait faire au mouvement dramatique un sujet de Walter Scott, joué par Talma !

Nous nous arrêtâmes aux Puritains d’Écosse.

Il y avait, dans les Puritains d’Écosse, deux caractères qui séduisaient invinciblement Soulié, c’étaient John Balfour de Burley et Bothwell.

Le sujet choisi, nous nous mîmes avec ardeur à l’œuvre ; mais nous avions beau nous réunir, le plan n’avançait pas.

Nos deux organisations, en relief toutes deux, si l’on peut s’exprimer ainsi, ne trouvaient ni l’une ni l’autre où emboîter leurs aspérités.

Au bout de deux ou trois mois d’un travail infructueux, après nous être réunis inutilement cinq ou six fois, nous n’avions réussi à rien, et nous n’étions guère plus avancés que le premier jour.

Mais j’avais énormément gagné à ma lutte avec ce rude jouteur ; je sentais naître en moi des forces inconnues, et, comme un aveugle auquel on rend la lumière, il me sem-