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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

dire, et à exiger que nous vécussions, ma mère, mon fils et moi, avec cent vingt-cinq francs par mois.

L’impression fut si poignante, qu’elle me donna le courage d’aller droit à Oudard.

J’entrai dans son cabinet, les larmes dans les yeux, mais la voix calme.

— Est-il vrai, monsieur, lui demandai-je, que vous ayez défendu à Lassagne de travailler avec moi ?

— Oui, me répondit-il. Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que je ne pouvais croire que vous eussiez eu ce courage.

— Comment, que j’eusse eu ce courage ?

— Sans doute, je trouve qu’il faut du courage, moi, pour condamner trois personnes à vivre avec cent vingt-cinq francs par mois.

— Il me semble que vous êtes bien heureux de ces cent vingt-cinq francs par mois que vous méprisez.

— Je ne les méprise pas, monsieur ; je suis très-reconnaissant, au contraire, à celui qui me les donne ; seulement, je dis qu’ils sont insuffisants, et que je croyais avoir le droit d’y ajouter quelque chose, du moment où mon travail extérieur ne prenait pas sur mon travail de bureau.

— Il ne prend pas aujourd’hui sur votre travail de bureau, mais il y prendra demain.

— Demain, alors, il sera temps de vous en inquiéter.

— Au reste, cela ne me regarde pas, dit M. Oudard ; je vous transmets purement et simplement les observations du directeur général.

— De M. de Broval ?

— De M. de Broval, oui.

— Je croyais que M. de Broval avait des prétentions à protéger la littérature ?

— La littérature, peut-être… Mais appelez-vous de la littérature la Chasse et l’Amour et la Noce et l’Enterrement ?

— Non, monsieur, bien certainement. Aussi, mon nom n’a pas été mis sur l’affiche de l’Ambigu, où a été joué la Chasse