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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Décidément, les titres à deux compartiments ne me portaient pas bonheur.

Je restai atterré.

Mais ce fut bien pis quand, le lendemain de la lecture,]e vis apparaître Lassagne avec un visage funèbre.

C’était si peu son habitude, que je me levai véritablement inquiet.

— Qu’y a-t-il donc ? lui demandai-je.

— Il y a, mon pauvre ami, que, je ne sais comment, quoiqu’on ne vous ait pas nommé hier à la lecture, le bruit s’est répandu que je faisais une pièce avec vous ; de sorte qu’Oudard m’a fait appeler tout à l’heure.

— Eh bien ?

— Eh bien, il prétend que c’est moi qui vous donne le goût de la littérature ; il prétend que ce goût perdra votre avenir, et il m’a fait donner ma parole d’honneur, non-seulement que je ne ferais pas d’autres pièces avec vous, mais encore que je laisserais là celle qui était faite.

— Et vous l’avez donnée ? demandai-je.

— J’ai dû le faire pour vous, Dumas. Vous n’avez plus le général Foy pour vous soutenir ici. Je ne sais qui vous dessert auprès de M. de Broval ; mais, enfin, on vous voit, d’un très-mauvais œil, faire de la littérature.

Jamais, je crois, mon cœur ne se serra plus douloureusement. Les deux ou trois cents francs qu’avait produits la Chasse et l’Amour avaient apporté un si sensible allégement à notre position, que désormais c’était, non plus dans un avancement de vingt ou vingt-cinq francs par mois que j’avais mis mes espérances, mais dans un travail littéraire qui quadruplât ces appointements.

D’ailleurs, une portion de ce que devait rapporter la Noce et l’Enterrement était hypothéquée au profit de Porcher, qui m’avait prêté trois cents francs.

Ce que venait de me dire Lassagne renversait à peu près tous mes châteaux en Espagne.

Il me semblait que, puisque ce travail dramatique se faisait en dehors du bureau, il y avait de l’inhumanité à me l’inter-