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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

regrettant rien, épanchant la poésie de son cœur, quand il était trop plein, comme tombe l’eau d’une urne trop pleine.

Cette pièce donnera une idée de sa manière douce et mélancolique :

Déjà la rapide journée
Fait place aux heures du sommeil,
Et du dernier fils de l’année
S’est enfui le dernier soleil.
Près du foyer, seule, inactive,
Livrée aux souvenirs puissants,
Ma pensée erre, fugitive,
Des jours passés aux jours présents.
Ma vue, au hasard arrêtée,
Longtemps de la flamme agitée
Suit les caprices éclatants,
Ou s’attache à l’acier mobile
Qui compte sur l’émail fragile
Les pas silencieux du Temps.
Encore un pas, encore une heure,
Et l’année aura, sans retour,
Atteint sa dernière demeure,
L’aiguille aura fini son tour !
Pourquoi de mon regard avide
La poursuivre ainsi tristement,
Quand je ne puis, d’un seul moment,
Retarder sa marche rapide ?
Du temps qui vient de s’écouler
Si quelques jours pouvaient renaître,
Il n’en est pas un seul, peut-être,
Que ma voix daignât rappeler…
Mais des ans la fuite m’étonne ;
Leurs adieux oppressent mon cœur.
Je dis : « C’est encore une fleur
Que l’âge enlève à ma couronne,
Et livre au torrent destructeur ;
C’est une ombre ajoutée à l’ombre
Qui déjà s’étend sur mes jours,
Un printemps retranché du nombre
De ceux dont je verrai le cours ! »