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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fus rapportée au milieu de mes parents, devenus tout à fait pauvres.

» C’est alors que le théâtre offrit pour eux et pour moi une sorte de refuge. On m’apprit à chanter ; je tâchai de devenir gaie ; mais, cependant, j’étais mieux dans les rôles de mélancolie et de passion.

» C’est à peu près tout mon sort que je vous dis là.

» On m’appela au théâtre Feydeau : tout m’y promettait un avenir brillant. À seize ans ; j’étais sociétaire sans l’avoir demandé ni espéré ; mais ma faible part se réduisait, alors, à quatre-vingt francs par mois, et je luttais contre une indigence difficile à décrire.

» Je fus forcée de sacrifier l’avenir au présent, et, dans l’intérêt de mon père, je retournai en province.

» À vingt ans, une grande douleur me força de renoncer au chant. Le bruit de ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées à l’insu de mes réflexions.

» Je fus forcée de les jeter sur le papier pour me délivrer de ce frappement fiévreux, et l’on me dit que ce que je venais d’écrire était une élégie.

» M. Alibert, qui soignait ma santé, devenue très-frêle, me conseilla d’écrire comme un moyen de guérison, n’en connaissant pas d’autre. J’ai suivi l’ordonnance sans avoir rien appris, rien lu ; ce qui me causa longtemps une fatigue pénible, car je ne pouvais jamais trouver de mots pour rendre mes pensées.

» Mon premier volume fut publié en 1822.

» Vous m’avez demandé, bien cher ami, comment j’étais devenue poëte. Je ne puis que vous raconter comment j’écrivis. »

Madame Tastu avait eu une vie moins douloureuse et moins agitée ; on le sentait aux calmes pulsations de ses vers. Elle avait tout simplement, acceptant sa position de femme, donné sa vie à sa mère, à son mari et à ses enfants.

Elle avait vécu entre ces trois amours ; ne désirant rien, ne