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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Que de tes jours le flot limpide
Coule comme un ruisseau, timide
Qui murmure parmi des fleurs,
Et, loin des palais de la terre,
Voit dans son onde solitaire
Le ciel réfléchir ses couleurs.

Si du fleuve orageux des âges
Tu voulais remonter les bords,
Que verrais-tu, sur ces rivages ?
Du sang, des débris et des morts ;
Les lâches clameurs de l’envie
La vertu toujours poursuivie,
Et, profanant les jours antiques,
Sur la cendre des républiques,
Des autels dressés aux tyrans.

Que dirais-tu, lorsque l’histoire
Viendrait dérouler à tes yeux
Ses fastes sanglants, où la gloire
Recueille les erreurs des cieux ?
Ici, les fils de Cornélie,
Que tour à tour la tyrannie
Écrase, en passant, sous son char ;
Là, trahi du dieu des batailles ;
Caton déchirant ses entrailles
Pour fuir le pardon de César !

Près de ces illustres victimes,
Que pleure encor la liberté,
tu verrais, puissants de leurs crimes,
Les grands fonder l’impunité :
Lorsque sa rage est assouvie,
Un Sylla terminant sa vie,
Tranquille au toit de ses aïeux ;
Un Tibère que l’on encense,
Et qu’à sa mort un peuple immense
Ose placer au rang des dieux.