Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Qui m’eût dit que ce qui me fit une si grande joie à cette époque me serait plus tard un si grand ennui ?

Au bout d’un mois — pendant lequel la Chasse et l’Amour suivait triomphalement le cours de ses représentations, et me rapportait cent quatre-vingts francs de droits d’auteur et de vente de billets, — mon volume parut sous mon nom, et avec le titre de Nouvelles contemporaines.

On en vendit quatre exemplaires, et l’on fit dessus un article dans le Figaro.

Cet article, ce fut Étienne Arago qui le fit. Si ce chapitre va le trouver dans l’exil, son étonnement sera grand, sans doute, de voir qu’après vingt-cinq ans, je me souviens d’un article qu’il a oublié.

Quatre volumes vendus faisaient rentrer dix francs dans la caisse de M. Setier.

M. Setier en fut donc de deux cent quatre-vingt-dix francs pour avoir imprimé les Nouvelles contemporaines, et moi, de trois cents francs pour les avoir faites.

La spéculation n’était heureuse ni pour l’un ni pour l’autre. Aussi, je m’en tins à ce conseil que m’avait donné un libraire fort intelligent, M. Bossange :

— Faites-vous un nom, et je vous imprimerai.

Là était toute la question.

Se faire un nom ! C’est la condition qui fut posée à tout homme qui s’en fit un. Cette condition, au moment où elle lui fut imposée, il s’est demandé, désespéré, comment il pourrait la remplir ?

Et cependant, il l’a remplie.

Je ne crois pas au talent ignoré, au génie inconnu, moi.

Il y avait des causes pour que Gilbert et Hégésippe Moreau mourussent à l’hôpital.

Il y avait des causes pour que s’asphyxiassent Escousse et Lebras. C’est dur à dire, mais ni l’un ni l’autre de ces deux pauvres fous, s’il eût vécu, n’eût eu, au bout de vingt ans de travail, la réputation que leur valut l’épitaphe de Béranger.

Je m’occupai donc sérieusement de me faire un nom pour