Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Aussi demandez à madame Porcher, elle qui est en relation avec tout ce qui a de l’esprit en France, les charmantes lettres qu’elle reçoit.

Elle aurait bien certainement un recueil à publier, qui ne le céderait en rien aux lettres de madame de Sévigné, quoiqu’elles soient d’un autre genre.

Nous en prenons une au hasard ; elle est d’un auteur de notre connaissance, qui n’est pas nous, quoique sa signature ressemble diablement à la notre.

Il demandait un modeste emprunt de cent francs, et on lui répondait d’attendre quelques jours ; après quoi, il était probable qu’on serait en mesure de lui rendre ce service. — Voici la lettre :

« Attendre quelques jours, madame ! mais c’est comme si vous disiez à un homme à qui l’on va couper le cou de danser un rigodon ou de faire un calembour ; mais, dans quelques jours, je serai riche à millions ! je toucherai cinq cents francs. Si je m’adresse à vous, si je vous ennuie de moi, c’est que je suis dans une misère à rendre des points à Job, le plus grand malheureux de l’antiquité. Si vous ne m’envoyez pas ces cent francs par mon esclave, je dépense mes derniers sous à faire l’acquisition d’une clarinette et d’un caniche, et je vais jouer de l’une et de l’autre devant votre porte en m’écrivant sur le ventre : « Faites l’aumône à un homme de lettres abandonné de madame Porcher. » — Voulez-vous que j’aille vous demander ces cent francs sur la tête ? que je crie : « Vive la République ! » ou que j’épouse mademoiselle Moralès ?… Aimez-vous mieux que j’aille à l’Odéon, que je trouve du talent à Cachardy, ou que je porte des chapeaux gibus ?… Ce que vous m’ordonnerez, je le ferai, si vous m’envoyez ces cent francs. Envoyez-les-moi plutôt dix fois qu’une ! »

Mille et mille sentiments dévoués,
» X***.

» P.-S. Cela m’est égal que les cent francs soient en argent, en or ou en billets de banque ; ainsi, ne vous gênez pas. »