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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pour les billets, à ce maudit théâtre. N’importe ! les droits d’auteur sont bons, et, si vous pouvez arriver, dame ! vous ferez bien… Mais, je vous en préviens, ce n’est pas commode.

— Je le sais bien ; mais je connais un peu M. Talma.

— Oh ! bien, alors, c’est comme si vous disiez à Rome : « Je connais le pape. » Bon, bon, bon ! allez… mais n’oubliez pas que c’est à Porcher que vous avez eu affaire le premier.

— Je n’ai garde.

— Ayez bonne mémoire ; ordinairement, les gens qui ont bonne mémoire ont bon cœur.

Je crois, monsieur, que vous êtes une preuve vivante de ce que vous dites.

— Pourquoi cela ?

— Parce que voilà deux ou trois fois que vous prononcez le nom de Mélesville.

— Mélesville ! c’est-à-dire, monsieur, que je me ferais tuer pour lui.

— Je n’aurai pas l’indiscrétion de vous demander la cause de votre dévouement.

— Oh ! c’est bien simple. J’étais perruquier ; c’était moi qui taillais les cheveux à Mélesville ; lui, il a de la fortune, mais n’importe ! il faisait des pièces. Dans ce temps-là, il y a dix ou douze ans, on ne vendait pas ses billets, on les donnait.

— Monsieur Porcher, croyez que, si j’étais plus riche, je vous donnerais les miens avec le plus grand plaisir.

— Vous ne comprenez pas : dans ce temps-là, on ne vendait pas ses billets, on les donnait. M. Mélesville me donnait donc ses billets ; j’allais avec des amis à ses pièces, et j’applaudissais. Il fit tant de pièces et me donna tant de billets, qu’il me vint une idée ; c’était, au lieu de les prendre et de les donner pour rien, de les lui acheter et de les vendre : je lui proposai le marché. « Vous êtes fou, Porcher, me dit-il ; que diable voulez-vous faire de cela ? — Laissez-moi essayer. — Oh parbleu ! essayez, mon cher. » J’essayai, monsieur ; cela réussit. Depuis ce temps, je fais mes petites affaires, et, si jamais j’arrive à une fortune, c’est à M. Mélesville que je le