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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je sortis du café, et j’attendis.

Cinq minutes après, Porcher sortit à son tour.

— Eh bien, me dit-il, vous avez donc une pièce reçue à l’Ambigu ?

— Oui, et qui est même entrée en répétition aujourd’hui.

— Je sais cela ; et vous voudriez de l’argent sur vos billets ?

— Dame ! lui dis-je, voici la position…

Et je lui racontai en deux mots toute ma vie.

— Combien désirez-vous sur vos billets ? Vous savez qu’ils ne valent que deux francs par jour ?

— Eh ! mon Dieu, oui, je le sais.

— Je ne puis donc pas vous donner beaucoup.

— Je comprends cela.

— Car la pièce peut ne pas réussir.

— Mais, enfin, pouvez-vous me donner ?…

— Combien ?… Voyons !

Je rappelai tout mon courage, tant je trouvais moi-même la demande exorbitante.

— Pouvez-vous me donner cinquante francs ?

— Oh ! oui, dit Porcher.

— Quand cela ?

— Tout de suite. Je ne les ai pas sur moi, mais je vais les prendre au café.

— Et, moi, je vais y rentrer pour vous donner un reçu.

— Inutile ; je vous inscrirai sur mon registre, comme je fais pour M. Mélesville et pour les autres : seulement, il est convenu de parole, n’est-ce pas, que, pour tout l’avenir, nous faisons affaire ensemble ?

— Convenu… à la vie, à la mort.

Porcher entra, prit cinquante francs au comptoir, et me les remit dans la main.

J’ai éprouvé peu de sensations aussi délicieuses que le contact de ce premier argent gagné avec ma plume ; jusque-là, celui que j’avais touché n’avait été gagné qu’avec mon écriture.

— Tenez, me dit-il, soyez sage, travaillez bien, et je vous ferai connaître Mélesville