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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

espérances. J’ai laissé soupçonner que tu étais appelé à enfoncer Scribe et Casimir Delavigne, et il t’attend ce soir au café de l’Ambigu.

— Comment s’appelle-t-il, ton homme ?

— Porcher.

— Bon ! j’irai.

Rousseau s’éloignait déjà, mais il revint.

— À propos, dis-lui tout ce que tu voudras, mais ne lui dis pas de mal de Mélesville.

— Et pourquoi veux-tu que je lui dise du mai de Mélesville ? Je n’en pense que du bien !

— Naïf jeune homme, va ! tu ne sais donc pas qu’en littérature, c’est de ceux dont on pense le plus de bien qu’on dit le plus de mal ?

— Non, je ne savais pas… Mais pourquoi ne faut-il pas dire de mal de Mélesville à Porcher ?

— Un jour que j’aurai le temps, je te conterai cela.

Et Rousseau, m’envoyant un signe joyeux de la tête et de la main, partit en faisant sonner ses deux cent cinquante francs, et me laissant réfléchir à la cause pour laquelle il ne fallait pas dire du mal de Mélesville à Porcher.

Je n’attendis pas précisément l’heure habituelle de la sortie, et je courus tout joyeux annoncer la bonne nouvelle à ma mère.

Seulement, je ne lui dis rien de l’offre qui m’avait été faite par Rousseau.

Le soir, après mon second portefeuille, j’allai au café de l’Ambigu.

Je demandai M. Porcher.

On me le montra faisant une partie de dominos.

J’allai à lui ; il me reconnut probablement, car il se leva.

— Je suis le jeune homme dont vous a parlé Rousseau, lui dis-je.

— Monsieur, je suis à vous. Êtes-vous pressé ou voulez permettre que je finisse ma partie de dominos ?

— Finissez, monsieur… je ne suis aucunement pressé ; j’attendrai en me promenant sur le boulevard.