Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

bien avoir raison, et que, soi, l’on pourrait bien s’être trompé.

Pour ne point décider arbitrairement cette grande question, nous prîmes un terme moyen.

Ce fut de lire à un autre théâtre.

Mais à quel théâtre lirions-nous ?

Poirson nous avait dédaigneusement renvoyés à un théâtre du boulevard ; Rousseau nous offrit de lire à l’Ambigu. Le régisseur, Warez, étant de ses amis, il avait chance de ne pas attendre la lecture, comme cela n’eût point manqué d’arriver à un autre théâtre.

Nous adhérâmes à la proposition.

La lecture, demandée le lendemain, fut accordée pour le samedi suivant.

Nous attendîmes, moi surtout, ce samedi avec une grande anxiété.

Ce résultat, si misérable qu’il fût, était pour nous presque une affaire de vie ou de mort.

Nous voyions s’approcher avec terreur, ma mère et moi, la fin de nos ressources, et, quoique Després, notre voisin, fût mort ; quoique nous eussions, comme il nous l’avait conseillé, repris son logement, de cent francs meilleur marché que le nôtre ; quoique nous missions la plus grande économie dans nos dépenses, nos ressources s’épuisaient peu à peu, et assez rapidement pour donner de graves inquiétudes sur l’époque où nous serions réduits à vivre de mes seuls appointements.

Le fameux samedi arriva.

J’allai à mon bureau ; ces messieurs allèrent à leur lecture.

À une heure, la porte de mon bureau s’ouvrit ; mais, derrière cette porte, étaient deux figures à l’expression desquelles je ne pouvais pas plus me tromper que la première fois.

— Reçus ? m’écriai-je.

— Par acclamation, mon cher, dit Rousseau.

— Et le fameux couplet du lièvre ?

— Bissé !

Ô faiblesse des jugements humains ! ce qui révoltait M. Poirson ravissait M. Warez.