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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Soit ! dit Rousseau.

Et levant son verre :

— À la réussite de la Chasse et l’Amour ! dit-il.

Nous n’eûmes garde de ne point faire honneur au toast, qui fut renouvelé jusqu’à ce qu’il ne restât pas une goutte de la liqueur blonde dans la bouteille.

— La troisième bouteille ! fit Rousseau en égouttant la seconde dans son verre.

— Mettons-nous au plan… Elle viendra, dit Adolphe.

— Au plan ! au plan ! cria Rousseau.

On sonna le domestique ; on fit enlever les plats, les couverts et les nappes ; on ne garda que les trois verres ; on mit des plumes, de l’encre et du papier sur la table ; on me glissa la plume entre les doigts, et l’on fit monter là troisième bouteille.

Au bout d’un quart d’heure la bouteille était bue ; au bout d’une heure, le plan était fait.

Ne me demandez pas quel était ce plan, je ne veux pas m’en souvenir.

Nous partageâmes en trois parties les vingt et une scènes qui, je crois, composent l’ouvrage. Chacun en eut sept : moi les sept de l’exposition, de Leuven les sept du milieu, Rousseau les sept du dénoûment.

Puis on prit rendez-vous à la huitaine pour dîner et lire la pièce.

Chacun, pendant ces huit jours, devait avoir fait sa part.

C’était ainsi que travaillaient les vaudevillistes de la vieille école. Scribe, comme le médecin de Molière qui avait mis le foie à gauche et le cœur à droite, Scribe a changé tout cela, et a donné du sérieux à un travail qui, jusque-là, n’avait été que du caprice et de la fantaisie.

Le lendemain au soir, mes sept scènes étaient écrites.

Au jour dit, nous nous réunîmes. J’avais fait ma besogne, Adolphe avait fait la sienne ; Rousseau n’avait pas écrit un mot.

Rousseau, alors, nous déclara qu’il avait l’habitude de travailler en séance, et que, seul, les idées ne lui venaient pas, il ne pouvait rien faire.