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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Rousseau avait passé la nuit parfaitement tranquille, grâce au lampion qui veillait pour lui, et s’était réveillé avec deux ou trois sous dans la main.

De bonnes âmes lui avaient fait l’aumône, le prenant pour un pauvre honteux.

Mais, comme c’était son quartier, le jour venu, il avait été reconnu par la fruitière et par l’épicier ; ce qui avait été une grande humiliation pour lui.

Un bon déjeuner, que nous lui offrîmes au café des Variétés, le consola. Après quoi, — c’était un dimanche, et, par conséquent, j’avais congé, — après quoi, nous l’emmenâmes dans la chambre d’Adolphe.

Adolphe avait, alors, une fort jolie chambre, presque aussi jolie que celle de Soulié. La maison qu’avait fait bâtir M. Arnault, rue de la Bruyère, était en état, et la famille de Leuven avait suivi la famille Arnault de la rue Pigalle à la rue de la Bruyère.

Nous nous attablâmes autour d’un thé dont Rousseau prétendait avoir absolument besoin, et nous lûmes successivement à notre convive tous nos essais, afin qu’il jugeât par lui-même celui qui lui paraissait digne de sa haute protection.

À la deuxième scène, Rousseau prétendit qu’il écouterait mieux couché sur le lit d’Adolphe, et, en conséquence, il se coucha ; à la quatrième scène, il ronflait ; ce qui prouvait que, si doux qu’eût été le lit d’herbages que lui avait prêté la fruitière de la rue du Petit-Garreau, on ne dort jamais bien quand on découche.

Nous respectâmes le sommeil de Rousseau, et nous attendîmes patiemment son réveil.

À son réveil, Rousseau avait la tête lourde ; il lui était impossible de réunir deux idées. Il demandait à emporter les manuscrits, à lire tranquillement chez lui, et à nous rendre réponse.

Nous lui confiâmes nos trésors : deux mélodrames et trois vaudevilles, et nous nous donnâmes rendez-vous pour dîner chez Adolphe le jeudi suivant.

Le jeudi suivant, madame de Leuven, qui sentait l’impor-