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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

CV

Le lampion. — La Chasse et l’Amour. — La part de Rousseau. — Le couplet du lièvre. — Le couplet de facture. — Comme quoi il y a lièvre et lièvre. — Réception à l’Ambigu. — Mes premiers droits d’auteur. — Ce que c’est que Porcher. — Pourquoi il ne faut pas lui dire du mal de Mélesville.

De Leuven et moi, nous allâmes trouver Rousseau.

Il demeurait, à cette époque, rue du Petit-Carreau, avec je ne sais quelle créature.

Il était furieux.

La veille, il avait soupé, et même très-bien soupé, chez Philippe, — que, soit dit en passant, je recommanderai comme le seul homme chez lequel on soupe encore, — il en était sorti avec Romieu, vers une heure du matin, honnêtement gris. Au bout de deux pas, l’air extérieur avait fait son effet, il était ivre ; au bout de cent pas, il était ivre-mort.

Romieu avait fait des efforts héroïques pour le mener le plus loin possible. Mais, entraîné deux fois dans sa chute, il s’était décidé à l’abandonner en entourant toutefois cet abandon de toutes les précautions possibles.

En conséquence, à trente pas de son domicile, reconnaissant l’impossibilité de le traîner plus loin, Romieu l’avait délicatement couché à la porte d’une fruitière sur un tas de feuilles de chou et de fanes de carotte qui se trouvaient là, lui avait appuyé la tête au mur, et, à grand renfort de coups de pied et de coups de poing, il s’était fait ouvrir la boutique d’un épicier. Chez cet épicier, il avait acheté un lampion, avait posé ce lampion à côté de Rousseau, en avait allumé la mèche, et avait pris congé de son malheureux ami, en lui adressant cette dernière phrase, moitié consolation d’un devoir rempli, moitié prière à la Providence :

— Et maintenant, dors tranquillement, fils d’Épicure ; ils ne t’écraseront pas !