— Tu as pensé à moi, j’espère ?
— J’ai pensé à toi ! et à quel propos ?
— Il me semble qu’il te faut un secrétaire ?
— Tiens ! c’est vrai.
— Tu n’en as pas encore ?
— Non.
— Eh bien, voilà mon affaire, à moi. Douze cents francs, la table, le logement et ta compagnie, c’est tout ce qu’il me faut.
— Mais, au fait, dit Romieu.
— Allons donc !
— Reviens après-demain, et je te dirai si la chose est possible.
— Possible ! qui diable empêcherait que ce ne fût possible ?…
Rousseau part, et revient le surlendemain.
Il trouve Romieu grave, presque soucieux.
— Eh bien ? demande-t-il.
— Eh bien, mon cher ami, je suis désespéré !
— Comment ?
— Impossible !
— Impossible de m’emmener avec toi ?
— Oui ; tu comprends…
— Non, je ne comprends pas.
— Avant de t’emmener, j’ai dû prendre des renseignements.
— Sur moi ?
— Oui, sur toi, et j’ai appris…
— Tu as appris ?…
— J’ai appris que tu buvais !
Rousseau partit ; mais, cette fois, il ne revint pas.
Pauvre Rousseau ! Trois mois avant sa mort, il nous racontait cette anecdote, en pleurant, à mon fils et à moi.
— Romieu finira mal, disait-il avec le ton tragique de Calchas, c’est un ingrat !
Dieu préserve Romieu de la prédiction de Rousseau !
Romieu demeura trois ans sans reparaître, et, pendant ces trois ans, l’absence de Romieu amena de grands changements