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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ancien camarade Romieu, et s’invite à dîner chez lui pour le jour même.

M. le préfet donnait un dîner d’apparat : les convives étaient, pour la plupart, des autorités du département, ce qu’il y avait de plus collet monté enfin.

Henry Monnier ne s’effraye pas pour si peu ; il bavarde, il raconte, il est comme chez lui, comme chez vous, comme chez moi, c’est-à-dire qu’il est charmant.

Seulement, il s’aperçoit que, quoiqu’il tutoie Romieu avec acharnement, Romieu s’obstine à ne pas le tutoyer.

Ce n’était ni dans leurs habitudes, ni dans leurs conventions.

Henry Monnier s’assure bien que ce n’est point une erreur de sa part ; puis, quand il est sûr d’être dans le vrai :

— Ah çà, dis-moi donc, mon cher Romieu, crie-t-il d’un bout à l’autre de la table, tu me dis vous, et je te dis tu, sais-tu qu’on va te prendre pour mon domestique ?…

Paris s’aperçut réellement de l’absence de Romieu, quoique, en partant, il lui eût laissé Rousseau ; puisqu’on faisait Romieu préfet, Paris eût bien désiré que l’on fit Romieu préfet de Paris ; mais cela n’était point possible, à ce qu’il paraît.

Comment Romieu, en partant, avait-il laissé Rousseau à Paris ?

Ah ! voilà ce que Rousseau ne lui pardonna jamais !

Quand Romieu fut nommé sous-préfet, Rousseau sauta de joie ; c’était bien, de la part du gouvernement, une grave inconséquence de nommer Romieu sous-préfet, sans lui adjoindre Rousseau à un titre quelconque ; mais, comme Rousseau, après la révolution, n’avait rien demandé, il fut assez raisonnable pour n’en pas vouloir au gouvernement.

Il alla trouver Romieu.

— Eh bien, mon cher ami, je te fais mon compliment.

— Ah ! tu sais ?…

— Pardieu !

— Oui, ils m’ont nommé sous-préfet.

— Eh bien ?

— Eh bien, quoi ?