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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

empire aux mains de Constantin. Nul, mieux que lui, ne comprenait cette charge d’âmes que reçoit du ciel un souverain. Il essaya donc, sans espérer y réussir, d’utiliser cet amour au profit du bonheur public. Il mit son consentement au prix de l’abdication de Constantin, et attendit la réponse de son frère avec autant d’anxiété que son frère attendait la sienne.

Constantin reçut la dépêche impériale, l’ouvrit, la lut, jeta un cri de joie, et abdiqua.

Oui, il abdiqua, cet homme étrange, cet homme indevinable, ce Jupiter Olympien qui faisait trembler tout un peuple en fronçant le sourcil. Il donna, pour le cœur d’une jeune fille sa double couronne d’Orient et d’Occident. Il donna, avec ses deux capitales, son empire, qui commence à la Baltique et qui finit aux montagnes Rocheuses, et dont sept mers baignent les rivages.

En échange, Jeannette Groudzenska reçut de l’empereur Alexandre le titre de princesse de Lovics.

Or, quand la nouvelle de la mort de l’empereur Alexandre arriva à Pétersbourg, le grand-duc Nicolas regarda cette renonciation comme non avenue ; il prêta serment de fidélité au grand-duc Constantin, et lui envoya un courrier pour l’inviter à venir prendre possession du trône.

Mais, en même temps que le messager partait de Pétersbourg pour Varsovie, le grand-duc Michel, envoyé par Constantin de Varsovie à Pétersbourg, apportait cette lettre à son frère :

« Mon très-cher frère

» C’est avec la plus profonde tristesse que j’ai appris, hier au soir, la nouvelle de la mort de notre adoré souverain, mon bienfaiteur l’empereur Alexandre. En m’empressant de vous témoigner les sentiments que me fait éprouver ce cruel malheur, je me fais un devoir de vous annoncer que j’adresse, par le présent courrier, à Sa Majesté impériale, notre auguste mère, une lettre par laquelle je déclare que, par suite du rescrit que j’avais obtenu, en date du 2 février 1822, à l’effet