Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

une influence magique, la sensibilité de Constantin s’exaltait ; il poussait des soupirs, puis des sanglots, puis des cris ; enfin, les larmes venaient abondantes et consolatrices ; il allait poser sa tête sur les genoux de cette femme, s’endormait et se réveillait guéri

Cette femme, c’était Jeannette Groudzenska, l’ange gardien de la Pologne.

Un jour que, tout enfant, elle priait dans l’église métropolitaine de Varsovie, devant l’image de la Vierge, une couronne d’immortelles placée sous le tableau était tombée sur sa tête, et y était restée jusqu’à ce qu’elle-même l’ôtât et la remît au clou qui la soutenait. En rentrant chez elle, Jeannette raconta cette aventure à son père, qui, à son tour, consulta sur cet événement un vieux Cosaque de l’Ukraine qui passait pour prophète.

Le vieux Cosaque avait répondu que cette couronne sainte tombée sur la tête de la jeune fille était le présage de la couronne terrestre que Dieu lui eût donnée, si elle-même n’eût point renoncé à cette couronne en la rendant à la Vierge, qui, par reconnaissance, la lui garderait certainement au ciel.

Et le père et la fille avaient oublié tous deux cette prédiction, ou, s’ils ne l’avaient point oubliée, ils ne s’en souvenaient plus que comme d’un songe, lorsque le hasard, je me trompe, lorsque la Providence, qui veillait sur cinquante-trois millions d’hommes, mit Constantin et Jeannette face à face.

Alors, ce sauvage aux passions ardentes, cet ours toujours rugissant, devint timide comme une jeune fille ; lui qui brisait toute résistance, lui qui disposait de la vie des pères et de l’honneur de leurs enfants, il vint timidement demander au vieillard la main de Jeannette, le suppliant de ne pas lui refuser un bien sans lequel il n’y avait pas de bonheur pour lui en ce monde. Le vieillard se rappela la prédiction du Cosaque. Il vit dans la demande du vice-roi l’accomplissement des desseins de la Providence : le vice-roi reçut son consentement et celui de sa fille.

Restait celui de l’empereur.

Alexandre s’était souvent effrayé de laisser son immense