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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

espèce de croûte qu’on ne peut précipiter qu’en la faisant bouillir avec du sel de tartre.

L’empereur était descendu dans la maison du gouverneur ; mais il en sortait dès le matin, et n’y rentrait qu’à l’heure du dîner, c’est-à-dire à deux heures. À quatre heures, il se remettait en course, ne rentrant qu’à la nuit, négligeant toutes les précautions que les habitants du pays prennent eux-mêmes contre les fièvres d’automne, si pernicieuses et si communes sur toutes ces côtes ; la nuit, il dormait sur un lit de camp, la tête appuyée à un oreiller de cuir.

Les pressentiments de sa fin prochaine le poursuivaient toujours. Le soir même de son arrivée à Taganrog, au moment où son valet de chambre allait sortir de l’appartement :

— Fœdor, lui dit-il, les bougies que je t’ordonnai d’enlever de mon cabinet, à Pétersbourg, me reviennent sans cesse à l’esprit ; avant qu’il soit longtemps, elles brûleront pour moi.

Pendant une nuit du mois d’octobre ; plusieurs habitants de Taganrog virent, à deux heures du matin, au-dessus de la maison qu’habitait l’empereur, deux étoiles qui, étant d’abord à une assez grande distance l’une de l’autre, se rapprochèrent, puis se séparèrent de nouveau. Par trois fois le phénomène se répéta. Alors, l’un de ces astres devint un globe lumineux qui, ayant peu à peu atteint un diamètre considérable, absorba l’autre, et, bientôt après, s’abattit sous l’horizon.

Dans sa chute, la première étoile grandissante avait laissé l’autre plus petite à sa place ; mais celle-ci, pâlissant par degrés, disparut à son tour.

Les esprits superstitieux virent, dans l’étoile la plus grosse et la plus brillante, l’étoile de l’empereur Alexandre, et, dans l’autre, celle de l’impératrice.

Ils en augurèrent, alors, que l’empereur mourrait bientôt, et que l’impératrice ne survivrait à son époux que de quelques mois.

Outre ses courses journalières, l’empereur en entreprenait d’autres qui duraient plusieurs jours, soit dans le pays du Don, soit à Tcherkask, soit à Donetz. Il s’apprêtait à partir