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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au temps de ses bonnes relations avec Napoléon, quand il s’inclinait vers lui, et lui souriait à ce vers :

L’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux !

l’empereur Alexandre était au bal chez M. de Caulaincourt, l’ambassadeur de France, lorsqu’à minuit, on vient dire à l’amphitryon que le feu est à l’hôtel. Les terribles accidents arrivés en pareille occasion au bal du prince de Schwartzenberg étaient encore dans le souvenir de tout le monde, de sorte que la première crainte de Caulaincourt fut qu’à la nouvelle du feu, — chacun voulant fuir, — les mêmes accidents ne se renouvelassent chez lui. En conséquence, il résolut de s’assurer par lui-même de la gravité du péril, mit un aide de camp à chaque porte avec ordre de ne laisser sortir personne, et, s’approchant de l’empereur :

— Le feu est à l’hôtel, lui dit-il tout bas. Je vais savoir par moi-même ce qu’il en est ; il importe que personne ne soit instruit du danger qui existe, sans qu’on sache en même temps sa nature et son étendue. Mes aides de camp ont ordre de ne laisser sortir personne, que Votre Majesté et Leurs Altesses impériales les grands-ducs et les grandes-duchesses. Si Votre Majesté veut donc se retirer, elle le peut… Seulement, j’aurai l’honneur de lui faire observer que l’on ne croira pas au feu tant qu’on la verra dans les salons.

— C’est bien, dit l’empereur, allez ; je reste.

M. de Caulaincourt descendit et s’informa. Comme il l’avait prévu, le danger n’était pas aussi grand qu’on l’avait pu croire au premier abord. Il remonta dans le salon, et trouva l’empereur dansant une polonaise.

Ils se contentèrent d’échanger un regard.

L’empereur acheva la contredanse.

La contredanse achevée :

— Eh bien ? demanda-t-il à Caulaincourt.

— Eh bien, sire, répondit l’ambassadeur, le feu est éteint.

Et tout fut dit.

Le lendemain seulement, les invités de la splendide fête