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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le vœu sincère que vous puissiez revenir bientôt au milieu de nous avec des forces nouvelles, et vous employer derechef pour l’utilité et l’honneur de la patrie, comme vous l’avez fait jusqu’à présent ; de même je me plais à vous témoigner, au nom de feu l’empereur, qui avait éprouvé votre attachement si noble et si désintéressé à sa personne, et pour mon propre compte, et au nom de la Russie, toute la reconnaissance que vous méritez comme citoyen et comme auteur. L’empereur Alexandre vous avait dit : « Le peuple russe est digne de connaître son histoire ; » l’histoire que vous avez écrite est digne du peuple russe.

» Aujourd’hui, je remplis une intention à laquelle mon frère n’eut pas le temps de donner suite. Le papier ci-joint vous mettra au fait de ma volonté, qui n’est, en ce qui me concerne, qu’un acte de justice, mais que je regarde également comme une disposition conforme à un legs sacré de l’empereur Alexandre.

» Je désire que votre voyage vous soit utile, et qu’il vous rende les forces nécessaires pour terminer l’affaire principale de votre vie. »

Cette lettre, qui pourrait être signée François Ier, Louis XIV ou Napoléon, était tout simplement signée Nicolas ; un oukase y était joint par lequel le ministre des finances était prévenu que Sa Majesté impériale accordait à M. de Karamsine une pension de cinq mille roubles réversible de lui à sa femme, et de sa femme à ses enfants : les enfants devant jouir de cette pension jusqu’à leur entrée au service, les filles jusqu’à l’époque de leur mariage.

Karamsine mourut avant d’avoir achevé son histoire ; mais, l’eût-il achevée, cette histoire, qui nous eût appris les faits généraux et les grands événements de l’empire russe, ne fût point descendue jusqu’aux détails du genre de ceux que nous allons raconter.

Il y a deux façons d’écrire l’histoire : l’une, comme l’écrivait Tacite ; l’autre, comme l’écrivait Suétone : l’une, comme l’écrivait Voltaire ; l’autre, comme l’écrivait Saint-Simon.