Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Les tragédies, qui demandaient un plus grand appareil de décors, et un plus grand développement de mise en scène, devaient être représentées sur le théâtre de la ville.

La première représentation comique eut lieu le 22 juin ; elle se composait de la Gageure imprévue et des Suites d’un bal masqué.

La première représentation tragique fut donnée le 24. On joua Phèdre.

Mais qu’il y avait loin de ces fêtes à celles d’Erfürt ! Un voile de tristesse était jeté sur le passé ; un voile de terreur était étendu sur l’avenir.

On se souvenait de la Bérésina ; on prévoyait Leipzig.

Talma cherchait eh vain au parterre ces rois qui l’avaient applaudi à Erfürt.

Il n’y avait plus que le vieux et fidèle roi de Saxe, le dernier des amis que conservât Napoléon parmi les têtes couronnées.

Les représentations durèrent depuis le 22 juin jusqu’au 10 août.

Presque tous les matins, à son déjeuner, l’empereur recevait ou Talma, où mademoiselle Mars, ou mademoiselle Georges.

On causait d’art.

C’est que l’art avait toujours rempli une place importante dans l’esprit de Napoléon. Sous ce rapport, il était, non-seulement le successeur, mais encore l’héritier de Louis XIV.

C’est alors qu’il exprimait, avec cette incisive appréciation qui lui était particulière, son opinion sur les hommes et sur leurs œuvres.

Ce devait être quelque chose de remarquablement beau que Corneille apprécié, et Racine critiqué par Napoléon.

Et quand on pense que, pour parler de Corneille ou de Racine, il fallait que le puissant génie soulevât un instant le monde, qui commençait à peser sur lui.

Il est vrai qu’on le leurrait sans cesse d’un espoir de paix.

Le 11 août au soir, tout espoir fut perdu à cet endroit.

Le 12, à trois heures du matin, M. de Beausset reçut d’Alexandre Berthier, prince de Neuchâtel, la lettre suivante :