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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Or, remarquez-le bien, cette chute du Cid d’Andalousie avait lieu en 1825.

On pouvait donc espérer que, treize ans après, c’est-à-dire en 1838, ce malheureux Cid serait oublié de tout le monde, même de son auteur.

Point.

C’était à Compiègne, — au camp. M. le duc d’Orléans faisait, pendant la journée, les honneurs de la forêt aux chasseurs ; le soir, les honneurs des salons aux joueurs, aux causeurs et aux danseurs.

Au milieu d’une de ces soirées, il passe une idée fatale dans l’esprit du malheureux prince. Il se tourne vers quelques poëtes qui l’entouraient :

— Messieurs, dit-il, voyons, lequel d’entre vous a quelques vers à nous lire ?

Chacun se tait, comme on comprend bien, et fait un pas en arrière.

M. Pierre Lebrun, lui, fait un pas en avant :

— Moi, monseigneur, dit-il.

Et il s’assied, et il tire de sa poche un manuscrit, — un manuscrit, entendez-vous bien ! — et, au milieu du silence général, il lit le titre :

— Messieurs, le Cid d’Andalousie.

Chacun se regarda ; mais il n’y avait plus à y revenir, on était pris, et M. le duc d’Orléans tout le premier.

La chose eut, par ma foi, un grand succès.

La lecture terminée, les compliments faits :

— Dumas, me dit le duc d’Orléans, expliquez-moi donc quel est ce bruit que j’ai entendu du côté de la fenêtre, et qui a interrompu M. Lebrun, vers le commencement du troisième acte.

— Monseigneur, répondis-je, c’est A***, qui s’était tapi derrière les rideaux pour dormir plus à son aise ; mais il paraît qu’en dormant, il a eu le cauchemar ; il a donné un coup de poing sur un guéridon, et il a cassé un cabaret de porcelaine de Sèvres, ce qui le rend fort triste.

— S’il est triste, il a tort, me dit le duc d’Orléans ; dites-lui