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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

bum, qui était destiné à ne pas sortir de ses mains, à ne pas même passer dans celles du duc d’Orléans, puisque c’était pour le duc d’Orléans que la traduction était faite, il n’y avait pas un mot que pût désavouer la chasteté d’un ange.

Au milieu de tout ce que je lus, une chose me frappa : c’était la profonde reconnaissance de madame la duchesse d’Orléans pour les faveurs que prodiguait au prince son mari le nouveau roi Charles X, et pour les bontés dont faisait, chaque jour, preuve pour elle et pour sa famille madame la duchesse de Berry.

Hélas ! hélas ! en voyant le roi Charles X à Gratz, et madame la duchesse de Berry à Blaye, combien de fois le souvenir de cet album ne se présenta-t-il pas à mon esprit, et ne me fît-il pas frissonner à l’idée de ce qu’avait dû souffrir le cœur profondément religieux de Marie-Amélie, quand ce que les princes appellent des nécessités politiques brisa entre les mains de son époux la couronne de l’un et l’honneur de l’autre !

Puis une autre page arrêta encore mes regards, et fixa longtemps mes yeux.

C’était celle où madame la duchesse d’Orléans racontait comment son mari, entre deux caresses, lui avait, avec tous les ménagements possibles, appris la mort de son père, Ferdinand Ier.

En effet, Ferdinand Ier, celui-là même qui avait retenu dix-huit mois mon père dans les prisons de Naples ; celui qui avait permis qu’on tentât trois fois de l’empoisonner, une fois de l’assassiner, celui-là venait d’être appelé à rendre compte — pasteur qui avait égorgé son troupeau — des terribles années 1798 et 1799.

N’était-ce pas étrange que moi, fils d’une des victimes de ce roi, je tinsse entre mes mains cet album, où, le cœur plein de larmes, une fille déplorait la mort de ce roi ?

Bizarre rapprochement des fortunes et des destinées !

Au reste, il était mort comme aurait pu mourir un juste, cet homme qui avait vu pendre devant ses yeux, brûler sous ses fenêtres, éventrer et mettre en morceaux en sa présence