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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Tallancourt, qui n’avait pas quitté le duc d’Orléans pendant les 27, 28 et 29 juillet, savait bon nombre de choses secrètes sur la révolution de 1830.

Quand le roi était à Neuilly, à tout propos il envoyait Tallancourt à Paris, et l’hercule, mal à l’aise sur son fauteuil, devant son bureau, dans son cabinet, faisait la route à pied pour respirer le grand air, et distendre un peu ses larges poumons.

Un jour, du fossé de la grande route, dont il suivait le bord, un énorme chien enragé s’élança sur lui. Tallancourt, par un mouvement naturel, réunit ses deux mains pour garantir son visage, et, avec un bonheur inouï, ses deux mains saisirent le chien par le cou.

Pris dans ces deux puissantes tenailles, le chien eut beau se débattre, les tenailles se serrèrent de plus en plus ; au bout de cinq minutes, le molosse était étouffé sans avoir fait une égratignure au géant.

Mais ces cinq minutes de lutte, ces cinq minutes de danger mortel avaient frappé le cerveau de Tallancourt d’une commotion terrible.

Cinq ou six mois après, un ramollissement du cerveau se déclara.

Pendant un an, je vis le pauvre Tallancourt s’affaiblissant à vue d’œil, moralement et physiquement, perdant ses forces et son intelligence, le geste et la voix.

Puis, enfin, mort peu à peu, après dix-huit mois de souffrances, il acheva de mourir.