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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

temps à perdre ; il faisait un froid horrible, et notre galerie de spectateurs s’accroissait de seconde en seconde.

Je jetai bas mon habit, et je me mis en garde.

Mais, alors, mon adversaire m’invita, outre mon habit, à mettre bas encore mon gilet et ma chemise.

La demande me parut exorbitante ; mais, comme il insistait, je piquai mon épée dans la neige, et je jetai mon gilet et ma chemise sur mon habit.

Puis, comme je ne voulais pas même garder mes bretelles, et que, comme ce pauvre Géricault, j’avais perdu la boucle de mon pantalon, je fis un nœud aux deux pattes pour me sangler les flancs.

Tous ces préparatifs prirent une minute ou deux pendant lesquelles mon épée resta fichée dans la neige.

Puis je repris mon épée, et me remis en garde d’assez mauvaise humeur.

Toutes ces injonctions m’avaient été faites très-crânement de la part de mon adversaire. En outre, comme l’épée était l’arme choisie par lui, je m’attendais à avoir affaire à un homme d’une certaine force.

Je m’engageai donc avec précaution.

Mais, à mon grand étonnement, je vis un homme mal en garde, et découvert en tierce.

Il est vrai que cette mauvaise garde pouvait n’être qu’une feinte pour que je m’abandonnasse de mon côté, et qu’il profitât de mon imprudence.

Je fis un pas en arrière, et, abaissant mon épée :

— Allons, monsieur, lui dis-je, couvrez-vous donc !

— Mais, me répondit mon adversaire, s’il me convient de ne pas me couvrir, moi ?

— Alors, c’est autre chose… seulement, vous avez là un singulier goût.

Je retombai en garde. J’attaquai l’épée en quarte, et, sans me fendre, pour tâter mon homme, j’allongeai un simple dégagement en tierce.

Il fit un bond en arrière, rencontra un cep de vigne, et tomba à la renverse.