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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

adversaire, qu’ils lui avaient signifié de ne plus compter sur eux, si l’affaire avait des suites.

Sur quoi, ils s’étaient retirés.

Mais Betz et Tallancourt, beaucoup plus entêtés que je ne l’eusse voulu au fond du cœur, étaient restés, eux, et avaient insisté près de M. Charles B***, pour savoir sur quoi ils devaient compter pour le lendemain.

M. Charles B*** leur promit d’être le lendemain à neuf heures, avec deux nouveaux témoins, à la barrière Rochechouart.

On se battrait dans une des carrières de Montmartre.

Ainsi, ce n’était qu’une partie remise.

Je remerciai beaucoup mes deux témoins. Je leur dis qu’ils avaient parfaitement fait, et j’attendis.

La journée s’écoula fort calme. J’arrivai même à oublier, soit en causant, soit en travaillant, que je dusse me battre le lendemain. Cependant, de temps en temps, un léger serrement de cœur amenait un spasme, et le spasme un bâillement.

Je rentrai de bonne heure comme la veille, et je restai près de ma mère. C’était le lendemain le jour des Rois, et on nous avait apporté une galette à la fève.

Ma mère fut reine. Je l’embrassai, et me souhaitai de l’embrasser trente ans encore, à la même heure, le même jour, et de la même façon.

Je savais bien ce que je faisais en faisant ce souhait.

Je dormis parfaitement pendant les quatre ou cinq premières heures de la nuit ; assez mal pendant les deux ou trois autres. Je quittai ma mère, comme la veille, à huit heures et demie. Cette fois, je n’avais pas d’épée à prendre ; Tallancourt les avait gardées toutes deux.

À neuf heures moins dix minutes, nous étions à la barrière Rochechouart ; à neuf heures sonnantes, un fiacre nous amena notre homme et ses deux nouveaux témoins.

On descendit, on se salua, on traversa silencieusement le boulevard extérieur, et l’on gagna les rampes de la montagne.

Un des témoins de mon adversaire qui est devenu