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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’âme est absente, la bête vit isolée ; et, en l’absence de sa force, de sa volonté, de son orgueil, la bête a peur.

Je rentrai donc dans la maison sans rien dire de ce qui s’était passé ; seulement, je ne quittai point ma mère.

C’était en plein hiver, je n’avais donc pas à faire le portefeuille.

Le lendemain, je me levai à huit heures ; je prétextai je ne sais quelle obligation, j’embrassai ma mère, je mis l’épée de mon père sous mon manteau, et je sortis.

Tallancourt, s’était chargé de trouver une seconde épée.

J’étais à l’hôtel de Nantes à neuf heures moins dix minutes.

Nous y trouvâmes les deux témoins de mon adversaire.

Je n’avais pas déjeuné. Thibaut, qui nous accompagnait, m’avait recommandé de ne point manger, afin qu’en cas de besoin, une saignée fût possible.

Nous attendîmes.

Neuf heures et demie, dix heures et onze heures sonnèrent.

Betz et Tallancourt étaient fort impatients ; le retard de mon adversaire leur faisait manquer leur bureau.

J’avoue que, pour mon compte, j’étais enchanté. J’espérais que l’affaire finirait par des excuses, et j’aimais autant cela.

À onze heures, les parrains de mon adversaire s’ennuyèrent. Ils proposèrent aux miens de venir avec eux chez leur filleul ; il demeurait rue Coquillière, je crois.

Quant à moi, on me renvoya au bureau. Je devais, en cas de gronderie, avouer franchement à Oudard ce qui s’était passé, et lui expliquer la cause de notre retard.

Oudard avait été mandé par madame la duchesse d’Orléans, de sorte qu’il n’y eut rien à avouer.

Une demi-heure après, Betz et Tallancourt revinrent : ils avaient trouvé mon adversaire dans son lit.

Sur l’observation qu’ils lui avaient faite que ce n’était point là qu’ils devaient le trouver, M. Charles B*** avait répondu qu’ayant été patiner toute la journée de la veille sur le canal, il s’était senti, vers les sept heures du matin, pris d’une telle courbature, qu’il n’avait pas eu la force de se lever.

L’excuse avait paru si mauvaise aux deux témoins de mon