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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tendait. Il prit Tallancourt à part, sans doute pour l’interroger sur mes aptitudes ; j’ai tout lieu de croire que Tallancourt le rassura.

À cinq heures, Betz et Tallancourt vinrent me dire que mon adversaire avait choisi l’épée.

Le rendez-vous tenait toujours, pour le lendemain neuf heures à l’hôtel de Nantes.

Je rentrai à la maison le visage souriant, quoique le cœur assez serré. Voici, en fait de courage, les observations que j’ai faites sur moi-même.

D’un tempérament sanguin, je me jette facilement au-devant du danger ; si le danger est présent, si je puis l’attaquer à l’instant même, mon courage ne faiblit point, soutenu qu’il est par l’agitation du sang.

Si, au contraire, il me faut l’attendre quelques heures, il y a affaiblissement dans le système nerveux, et je me repens de m’être exposé.

Mais peu à peu le côté moral s’empare, par la réflexion, du côté physique, et lui commande énergiquement de se bien conduire.

Arrivé sur le terrain, il y a toujours constriction intérieure, mais il n’y a plus trace extérieure d’émotion.

En 1834, j’eus un duel, et j’avais pour témoin Bixio, qui étudiait la médecine, à cette époque-là ; il me tâta le pouls au moment où je tenais déjà le pistolet à la main : le pouls ne donna que soixante-neuf pulsations à la minute, deux de plus que dans l’état ordinaire.

Plus j’attends, plus je suis calme.

Au reste, je crois que tout homme, à moins d’une organisation particulière, craint naturellement le danger, et, abandonné à ses propres instincts, ferait tout ce qu’il pourrait pour y échapper ; c’est la force morale seule, l’orgueil humain uniquement, qui le fait s’exposer souriant à une blessure ou à la mort.

Une preuve de ce que j’avance, c’est que je crois l’homme brave en état de veille, poltron en rêve, parce que, en rêve,