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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

D’abord, j’étais très-jeune, et c’était ma première affaire ; ensuite, j’arrivais de province, et ils ignoraient jusqu’à quel point je savais manier les armes.

Ils avaient pris avec les témoins de mon adversaire, M. Charles B***, rendez-vous pour le lendemain, à quatre heures de l’après-midi, dans le jardin du Palais-Royal, en face de la Rotonde, ce qui leur laissait tout le temps de s’occuper de moi.

Ils m’invitèrent à leur donner des explications sur la cause de la querelle ; je m’empressai de le faire ; puis, comme ils étaient chargés de la discussion des armes, ils me demandèrent quelle arme je préférais.

Je leur répondis que les armes m’étaient indifférentes, et que, du moment où je leur avais confié mes intérêts, cela les regardait, eux, et non plus moi.

Cette assurance les tranquillisa un peu ; mais Tallancourt ne m’en donna pas moins rendez-vous, pour le lendemain à neuf heures du matin, au tir Gosset.

Je n’avais pas mis le pied dans un tir depuis que j’étais à Paris ; mais on se rappelle nos familiarités avec les kukenreiter de M. de Leuven, et nos ardoises cassées, nos grenouilles coupées en deux, nos cartes tenues à la main, chez de la Ponce.

Tallancourt demanda douze balles.

— Est-ce à la poupée ou à la mouche que monsieur veut tirer ? dit le garçon en s’adressant à moi. Comme je ne connaissais pas parfaitement les termes et les habitudes des tirs parisiens, je me tournai vers Tallancourt, qui demanda une poupée.

Le garçon plaça sur la broche une poupée de plâtre : c’était sans doute la plus grosse de l’établissement ; ce garçon, nommé Philippe, — on se rappelle les moindres détails de ces sortes d’événements, — ce garçon, voyant ma parfaite ignorance des habitudes du tir, m’avait pris pour un écolier.

Tallancourt lui-mëme, la chose était visible, partageait l’opinion du garçon à mon égard.

J’avoue que cette unanimité me piqua.