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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vie, à ce que j’ai le droit d’espérer, je franchis le seuil de cet illustre établissement, décoré à l’extérieur d’un simulacre de vaisseau.

J’avais un grand manteau à la Quiroga (comme ou disait poétiquement à cette époque), manteau que j’avais aussi ardemment ambitionné que mes fameuses bottes, et que j’avais fini par me donner avec non moins de peine ; il parait que la manière dont je me drapais déplut à l’un des habitués qui, pour le moment, jouait au billard ; il échangea avec son partenaire quelques mots précédés d’un coup d’œil jeté de mon côté, et suivis d’un éclat de rire.

Il n’en fallut pas davantage pour me mettre l’éperon aux reins ; je pris une queue, et, brouillant les billes :

— Qui veut faire une partie de billard avec moi ? demandai-je.

— Mais, me fit observer Tallancourt, le billard appartient à ces messieurs.

— Eh bien, dis-je en regardant celui des deux joueurs auquel je désirais particulièrement avoir affaire, nous renverrons ces messieurs, et, moi, ajoutai-je en m’avançant vers mon homme, je me charge de celui-ci !

La provocation était trop bruyante et trop directe pour ne pas faire scandale.

Betz et Tallancourt s’élancèrent des premiers. Ils me connaissaient trop pour ne pas savoir que je n’eusse point fait, sans un motif quelconque, une pareille incartade ; le principal était pour nous qu’une querelle d’estaminet ne s’ébruitât point. Nous échangeâmes nos noms, mon adversaire et moi, et nous prîmes rendez-vous pour le surlendemain, à neuf heures du matin, au café formant le rez-de-chaussée de cette grande maison isolée qui demeura si longtemps debout au milieu de la place du Carrousel, et que l’on nommait l’hôtel de Nantes.

Tallancourt et Betz se trouvèrent tout, naturellement être mes témoins.

Ils n’étaient pas sans une certaine inquiétude sur leur charge.