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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et, cependant, il eût pu lui arriver ce qui arriva au cadavre de Sheridan, du pauvre Sheridan, qui buvait tant de rhum d’eau-de-vie et d’absinthe, que lord Byron lui dit, un jour, dans une orgie :

— Sheridan ! Sheridan ! tu boiras tant d’alcool, que tu brûleras jusqu’au gilet de flanelle que tu portes sur ta poitrine.

La prophétie s’était réalisée ; Sheridan avait tant bu, que son gilet de flanelle avait été brûlé.

Sheridan était mort ; mort en laissant chez lui tout vide, bouteilles et poches.

Cela n’empêchait pas que la meilleure société de Londres ne fût réunie dans ce domicile, où tout était saisi, pour lui rendre les derniers devoirs.

Des amis qui, la veille, ne lui eussent peut-être pas prêté dix guinées, lui faisaient des funérailles royales.

On allait soulever le cercueil pour le mettre dans le corbillard, quand un monsieur vêtu tout de noir des pieds à la tête, et qui paraissait fort attristé, entra dans le salon, où se trouvait ce qu’il y avait de mieux dans les trois royaumes, et, s’avançant vers le cercueil, demanda par grâce singulière qu’il lui fût permis de fixer une dernière fois encore ses regards sur les traits de son malheureux ami.

D’abord, on refusa ; mais les instances furent si vives, la voix si émue, les sanglots étouffaient si tristement cette voix, que l’on ne crut rien pouvoir refuser à une pareille douleur. On dévissa le dessus du cercueil, et le corps de Sheridan fut mis à découvert.

Mais, alors, l’expression du visage du monsieur vêtu de noir changea complètement : il tira de sa poche un mandat de prise de corps et saisit le cadavre.

C’était un recors.

M. Canning et lord Sydmouth sortirent, alors, avec l’homme au mandat et payèrent la lettre de change.

Elle était de douze mille cinq cents francs.