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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’il fallut, pour maintenir l’ordre, requérir la force armée.

L’esprit-de-vin avait assez bien conservé la chair, et le poëte était encore reconnaissable : ses mains, surtout, étaient demeurées belles et presque vivantes ; — ses mains, dont il prenait un si grand soin, ce sublime maniaque, qu’il portait des gants même pour nager !

Ses beaux cheveux, dont il était si fier, étaient devenus presque gris, quoiqu’il n’eût que trente-sept ans.

C’est que chaque cheveu du poëte qui blanchit peut raconter une douleur.

Il avait été un instant question — c’était la clameur publique qui demandait cela — d’enterrer lord Byron à Westminster ; mais on craignit quelque refus de l’autorité, et la famille déclara que le cadavre, autour duquel se continuaient les bruits de la vie, serait enterré dans la sépulture de ses aïeux, à Newstead-Abbey.

Le 12, dès le point du jour, une foule immense encombrait les rues par lesquelles le convoi devait passer. Le colonel Leigh, beau-frère du mort, était à la tête du deuil. Dans six voitures de suite, venaient les membres les plus fameux de l’opposition : MM. Hobhouse, Douglas, Kinnair, sir Francis Burdett, O’Meara, le chirurgien de l’empereur.

Puis suivaient, dans leurs voitures particulières, le duc de Sussex, frère du roi, le marquis de Lansdown, le comte Grey, lord Holland, etc.

Deux députés grecs fermaient la marche.

À Hampstead-Road, le convoi prit le trot ; il devait passer la nuit à Walwyn, en repartir le lendemain mardi de bonne heure, pour arriver le soir à Higgham-Ferrer, le mercredi à Oackham, le jeudi à Nottingham, et le vendredi à Newstead-Abbey.

Ce programme fut ponctuellement suivi, et, le vendredi 17 août, le corps fut déposé dans la sépulture des ancêtres.

Byron, exilé par sa femme, chassé par sa famille, repoussé par ses contemporains, avait, enfin, le droit de rentrer en triomphe dans sa patrie et sa maison.

Il était mort !