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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mon étude d’anatomie, à moi, sera faite sur un homme vivant.

C’était la même scène que devait, deux ans plus tard, donner Talma, dans son bain, à Adolphe et à moi.

Bro demanda au malade la permission de me montrer sa Méduse.

— Faites, dit Géricault, vous êtes chez vous.

Et il continua de dessiner sa main.

Je restai longtemps en face de ce merveilleux tableau, quoique je fusse bien loin, à cette époque, ignorant en art comme je l’étais, de l’estimer à sa juste valeur.

En sortant, je marchai sur l’envers d’une toile ; je ramassai cette toile, et, la regardant à l’endroit, j’aperçus une merveilleuse tête d’ange déchu.

Je la donnai à Bro.

— Voyez donc, lui dis-je, voici ce que je trouve sous mon pied ?

Bro revint au malade.

— Ah ça ! êtes-vous fou, mon cher, lui dit-il, de laisser traîner de pareilles choses ?

— Savez-vous ce que c’est que cette tête ? demanda Géricault en riant.

— Non.

— Eh bien, mon cher, c’est le fils de votre portier. Il est entré, l’autre jour, dans mon atelier, et j’ai été étonné du parti qu’on pouvait tirer de sa tête. Je l’ai fait asseoir, et, en dix minutes, j’ai fait cette étude d’après lui… La voulez-vous ? Prenez-la.

— Mais, si c’est une étude, vous l’ayez faite dans un but ?

— Oui, dans le but d’étudier.

— Elle peut vous être utile un jour ?

— Un jour, mon cher Bro, c’est bien loin, et, d’ici là, il passera beaucoup d’eau sous le pont, et beaucoup de morts par la porte du cimetière Montmartre.

— Eh bien ! eh bien ! fit Bro.

— Prenez-la toujours, mon ami, dit Géricault ; si j’en ai jamais besoin, je la retrouverai chez vous.