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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à démêler avec l’Académie ; mais, comme il faut que quelqu’un commence à donner l’exemple des justices rendues, je réclame la priorité.

Le jour où M. Flourens fut nommé à l’exclusion d’Hugo, je traversais le foyer du Théâtre-Français. On jouait je ne sais quelle pièce nouvelle. M. Lemercier continuait là, contre l’auteur de Notre-Dame de Paris, de Marion Delorme et des Orientales, l’opposition qu’il avait silencieusement faite dans la journée à l’Académie.

J’écoutai un instant sa diatribe.

Puis, secouant la tête :

— Monsieur Lemercier, lui dis-je, vous avez refusé votre voix à Victor Hugo ; mais il y a une chose que vous serez obligé de lui donner, un jour ou l’autre, c’est votre place. Prenez garde qu’en échange du mal que vous dites ici de lui, il ne soit obligé de dire du bien de vous à l’Académie.

Et l’événement arriva comme je l’avais prédit. Ce n’était pas un éloge facile à faire que celui de Lemercier ; Hugo s’en tira en parlant de l’époque au lieu de parler de l’homme, en parlant de l’empereur au lieu de parler du poëte.

— Avez-vous lu mon discours ? me demanda Hugo, le lendemain du jour où il l’avait prononcé.

— Oui.

— Eh bien, qu’en dites-vous ?

— Je dis que vous avez bien plus l’air de succéder à Bonaparte, membre de l’institut, qu’à M. Lemercier, membre de l’Académie.

— Parbleu ! j’aurais bien voulu vous voir à ma place ! Comment vous en seriez-vous tiré ?

— Comme Racan, en disant que ma grande levrette blanche avait mangé mon discours.

On sait que Racan se présenta un jour à l’Académie avec les bribes d’un discours qu’il comptait lire.

— Messieurs, dit-il, j’avais un discours fort beau, et qui n’eût pas manqué de réunir tous les suffrages ; mais, ce matin, ma grande levrette blanche l’a mangé… Je vous en apporte les restes ; tâchez de vous y reconnaître, si vous pouvez !