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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pendant un de ces jours de calme, l’empereur Napoléon avait donné à Erfürt rendez-vous à tous les souverains de l’Europe.

Le roi de Saxe, son vieil et fidèle ami, lui prêtait son royaume pour cette fastueuse hospitalité.

En même temps que les rois et les reines du monde, Napoléon avait convoqué les rois et les reines de l’art.

Princes couronnés d’or ou de lauriers, princesses couronnées de diamants ou de roses, étaient accourus à l’appel.

Le 28 septembre 1808, Cinna fut représenté devant l’empereur Napoléon, l’empereur Alexandre et le roi de Saxe.

Le lendemain, 29, ce fut le tour de Britannicus.

Dans cet intervalle de vingt-quatre heures, l’auguste assemblée s’était augmentée du prince Guillaume de Prusse, du duc Guillaume de Bavière et du prince Léopold de Saxe-Cobourg, qui plus tard, en perdant sa femme la princesse royale d’Angleterre, et l’enfant qu’en mère jalouse elle entraînait dans la tombe, devait perdre à la fois trois couronnes, et — avec elles — ce fameux trident de Neptune que Lemierre appelait le sceptre du monde.

Le 2 octobre, Gœthe arriva à son tour. Il avait le droit de se faire attendre ; de tous les noms de princes que nous venons de citer, — n’en déplaise à messieurs de la rue de Grenelle, — le nom de l’auteur de Faust est peut-être le seul qui survivra.

Le 3, on représenta Philoctète.

Ce fut pendant cette représentation qu’Alexandre, à ce vers de Philoctète :

L’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux !


tendit à Napoléon cette main que, trois ans plus tard, il devait lui retirer, et qui lui fit tellement faute, qu’il glissa dans la neige et dans le sang de Moscou à Waterloo.

Au second acte de Philoctète, le roi de Wurtemberg arriva, mais sans qu’on se dérangeât pour lui. Il alla prendre sa place sur un des fauteuils réservés aux rois.