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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

poëmes qui sont tombés, écrasés sous les sifflets, sous les rires, sous les huées, essayez de les lire !

Essayez de lire Méléagre ; essayez de lire Lovelace ; essayez de lire le Lévite d’Éphraïm ; puis, quand vous aurez jeté de côté ces trois premiers ouvrages de l’auteur, quand vous vous serez reposé longuement, quand vous aurez repris haleine à votre aise, remettez-vous à la besogne, et essayez de lire Ophis, Plaute ou la Comédie latine, Baudouin, Christophe Colomb, Charlemagne, Saint Louis, la Démence de Charles VI, Frèdègonde et Brunehaut… puis, quoi encore ? Attendez… on se perd sur le champ de bataille où ceux qui tombent, tombent non pas même blessés, mais roides morts ; puis Camille, puis le Masque de poix, puis Cahin-Caha, puis la Panhypocrisiade : après la médiocrité, la folie ; après le galimatias simple, le galimatias double.

Et encore, si, tout meurtri de ces échecs, tout disloqué de ses chutes, M. Lemercier s’était tenu tranquille dans son fauteuil du palais Mazarin, comme font ses collègues, M. Droz, M. Briffaut, M. Lebrun, essayant, celui-ci de faire oublier qu’il a écrit un petit volume sur le Bonheur ; celui-là, qu’il a commis une tragédie de Ninus II ; le troisième, qu’il a raté le Cid d’Andalousie, et estropié la Marie Stuart de Schiller, — il n’y aurait rien à dire, et on le laisserait dormir aussi tranquillement dans son tombeau que les spectateurs eussent dormi à la représentation de ses œuvres, si les sifflets n’eussent pas été inventés. Mais point ! M. Lemercier criait au sacrilège, au mauvais goût, au scandale, en voyant se produire le mouvement littéraire de 1829 ; M. Lemercier signait des pétitions au roi pour qu’on empêchât la représentation d’Henri III et de Marion Delorme ; M. Lemercier se mettait en travers de la porte de l’Académie, quand Lamartine et Hugo voulaient y entrer ; M. Lemercier poussait l’archevêque de Paris contre l’un, inventait M. Flourens pour écarter l’autre ; retrouvait ses jambes pour courir quêter des voix contre eux, sa main droite pour pousser les verrous. Dieu merci, j’ai peu connu ce méchant petit homme, et n’ai jamais rien eu, pour mon compte, à démêler avec lui, n’ayant jamais rien eu